On s’installe un peu partout, les travaux avancent ou pas, mais la vie ne s’installe toujours pas. Les villes nouvelles dont beaucoup ont espéré qu’elles allaient remplacer les anciennes villes engorgées, n’ont finalement pas satisfait les habitants…

Des parkings pas très structurés, quelques commerces dans quelques endroits, dans d’autres des magasins pas encore ouverts et ailleurs inexistants. Des routes, parfois même des boulevards entassés de bout en bout et rarement goudronnés. Des bâtiments uniformisés. Nous sommes là devant un exemple d’une ville nouvelle. «Une duplication à l’infini», estime Madani Safar-Zitoun, professeur en sociologie à Alger 2. «Un groupement de logements perdu dans la nature», le qualifie aussi Rachid Sidi Boumedine, spécialiste en sociologie urbaine.  «Les jeunes ici essayent de tuer le temps.

En dehors du boulot où les gens font la navette quotidiennement vers Alger ou ailleurs, pour d’autres, il n’y a pas de divertissement, pas d’endroit où réviser en groupe, encore moins des stades». Témoignage d’un adolescent lycéen qui, chaque matin, doit se rendre à son établissement d’origine, c’est-à-dire à Bainem.

Il n’est pas le seul. Pour un médecin, paiement de facture ou d’autres courses particulières, ce sont les vieux réflexes qui reviennent : se rendre à l’ancien quartier. Ici à Sidi Abdellah, ou partout ailleurs dans les nouvelles cités, on y réside mais on ne vit pas. C’est simplement «un dortoir» avec quelques «munitions» d’urgence. Des commerces pour du pain ou de l’eau. Même les commerces ne battent pas le plein. C’est au ralenti. Car nous sommes loin d’être dans une ville.

Rien ne peut attirer ici. Il n’y a pas d’espace public proprement dit. Et pourtant, ce concept urbain est préalablement réfléchi, étudié puis exécuté. Mais la réalité est toute autre : aucune norme d’une ville. Car, Mohamed Larbi Merhoum, architecte, explique qu’une ville «est un établissement humain, un lieu d’échanges sociaux, économiques, culturels. Un organisme vivant qui se nourrit de tout cela. C’est aussi le lieu de tous les enjeux. Une ville saine est celle qui fait des enjeux de pouvoirs, de groupes sociaux une source de dynamisme et non pas d’antagonismes».

En termes plus clairs, pour savoir et comprendre si on est dans une ville en norme urbaine, l’archiecte Merhoum propose un test: prenons un moule d’un km2 d’une ville du 19e siècle, à partir de la Grande Poste au centre-ville d’Alger. On trouvera dans ce moule la faculté centrale, une école, la Grande Poste, un commissariat, des boulevards, des magasins, des habitations, des jardins, des petits commerces et des petites ruelles. Bref, un peu de tout.

Le même moule sera placé à la ville nouvelle de Sidi Abdellah : on trouvera des bâtiments pour habitation monosegmentés, c’est- à-dire de la même couche sociale, un parking et éventuellement un commerce. Le premier exemple, contrairement au deuxième, répond parfaitement et sans aucune défaillance à un concept de la ville. C’est-à-dire, l’espace public est là et ce n’est pas seulement une concentration de logements, tel que conçu aujourd’hui dans plusieurs endroits du pays. Les projets de villes nouvelles sont mal partis dès le départ en Algérie, toujours selon l’architecte Merhoum.

Flash-Back

Dans le monde, le concept était dans l’air qui existait depuis des siècles. Un petit flash-back de Zitoun-Safar Madani : l’idée revient au 19e siècle, avec Ebenezer Howard, concepteur de ce modèle appelé le modèle des cités-jardins qu’il a inventé et promu. Toute sa réflexion se portait sur les nouvelles villes. Car les villes dites «traditionnelles » se déploraient. Et devant l’impossibilité de rattraper le coup et de refaire la ville entièrement, vient cette idée d’en créer une toute nouvelle.

Une nouvelle création qui doit impérativement obéir à des normes. C’est-à-dire un espace harmonieux en fonction d’un certain nombre de principes urbanistiques, des habitations et aussi une activité et une mobilité. Puis, vient Le Corbusier, ses idées de «modernisme moderne» pour une nouvelle forme de ce concept et ramène avec lui une boîte à outils. Cette fois-ci ce n’est plus le concept british de Ebenezer Howard. L’urbaniste suisse met en place une ville moderne qui doit suivre 4 principes : résidence, activité, récréation et emploi.

Il dessine la ville. L’esthétique et la technique se marient, selon lui. Et celui d’ailleurs qui réalise une ville nouvelle à l’Inde, Chadigarch, avant les années 1950, même si quelques années plus tard, entre la ville dessinée et installée et la réalité, l’écart est visible. C’est normal, dit Zitoun Safar, c’est devenu une «ville appropriée par les habitants qui ont changé certains tissus. Elle devient plus ou moins éclatée». «En quelque sorte, la société a récupéré le projet», estime encore Safar Zitoun.

Orchestre

Mais chez nous, Mohamed Larbi Marhoume parle de l’inexistence d’un dessin de la ville.  «Nous n’avons pas réfléchi à l’espace public. Quand bien même on pourrait avoir une résidence, une mobilité et un emploi en ville, mais cette dernière a un devenir incertain si l’espace public est inexistant.».

Autre inexistence dans ces villes nouvelles : Chacun pose le programme qui relève de son autorité, sans avoir un espace commun. Autrement dit, le ministère de l’Habitant construit le logement, puis vient celui de l’Education pour les écoles, la Santé pour les centres de santé… mais le hic, «il  y a une impossibilité de coordonner les secteurs», explique encore Mohamed Larbi Merhoum. Où réside la faille ? Pour Merhoum, cette incompatibilité entre les secteurs est telle qu’un «orchestre avec des musiciens qui jouent avec des percussions différentes».

La ville, par exemple, de Sidi Abdellah créée juridiquement dans les années 1980 par une agence locale sous tutelle de la wilaya d’Alger, n’est toujours pas achevée. Pourquoi un tel retard alors ? Les instruments de réalisation étaient limités, explique Safar-Zitoun.  «Egalement pour des raisons procédurales et techniques.

Pas d’outils nécessaires mais surtout absence de volonté politique. L’idée de Sidi Abdellah vient d’ailleurs, avant celle de Boughezoul», argumente encore le professeur. L’exemple aussi de Ali Mendjeli à Constantine est un projet pas du tout réfléchi comme concept de ville nouvelle. «C’est après le début de l’emplacement des sites que le wali à l’époque a voulu, pour récupérer et avoir plus d’équipements, qu’elle soit ainsi conçue», explique Safar Zitoun.

Une manière délicate pour forcer les autorités à ramener les équipements qui vont avec. Mais la raison principale aussi de tout ce cafouillage et retard sur le terrain revient aux conflits de tutelle. Au début, ce projet relevait du ministère de l’Aménagement du territoire. Une démarche pourtant sensée. Mais aussi vite, l’aménagement du territoire qui était habilité à proposer, créer et suivre le projet, était dépossédé au même titre que la wilaya d’Alger de ce projet.

Et c’est l’Habitat qui reprend les manœuvres. Et quand l’Habitat le reprend, c’est là où réside le dérapage, selon Merhoum, qui «était seulement à la recherche d’une assiette foncière pour placer ses programmes de logement ». Mais aussi, autre dérapage, lorsque les Coréens, chargés de la réalisation, ont importé un modèle américain chez nous sans avoir la sociologie, encore moins les moyens et la topographie américains. Rachid Sidi Boumedine parle aussi de «négation de l’urbanisme». Car, il n’y a, dit-il encore, aucune idée de ville derrière.

Brasilia

Difficile de suivre un exemple de réussite. Il est surtout du côté de Brasilia, la capitale du Brésil dans les années 1950. C’est une ville nouvelle, elle aussi.  C’était une forêt en plein centre du pays. D’où d’ailleurs l’idée de Boughezoul, qui n’arrive toujours pas à sortir de ses maquettes. Brasilia était confiée à un seul architecte et elle a une fonction de capitale.

En Algérie, et avant même l’indépendance, le concept de villes nouvelles était déjà là. Il s’agissait, selon toujours Safar Zitoun, de ces villes satellites conçues et réfléchies pour désengorger le centre-ville d’où la conception des ensem-bles Diar Saada et Diar El Mahçoul, explique Zitoun.  Dans les années 1980, des projets de villes nouvelles naissaient mais ils ne sont pas passés de suite à la réalisation.

Et même lorsqu’elles sont passées à la réalisation, la structure urbaine n’y était pas, se désole Larbi Merhoum. Lorsqu’il fait une comparaison avec les villes du 19e siècle, la différence est là mais aussi lorsqu’il donne l’exemple des Casbah ou Beni M’zab. Les zniqat, les marchés et les artisans, les cours… : l’espace public est primordial. Car, toujours selon lui, la ville disparaît lorsqu’elle n’a pas une raison économique de vivre.

Donc ces villes nouvelles sont appelées à disparaître ? Pas forcément, répond-il, dans la mesure où le choix est fait et des équipement sont en train d’être placés avec l’existence, fort heureusement des potentialités économiques qui pourraient sauver cet espace. Mais on reste toujours dans cette politique de logement, qualifiée par Sidi Boumedine de «quantitative».  C’est ce qui a aussi tué le projet de Sidi Abdellah et les autres projets de nouvelle ville.

Rattrapage

Larbi Merhoum et Zitoun Safar ne se contredisent pas non plus lorsqu’ils évo-quent l’absence de réflexion et de vision globale. Merhoum lorsqu’il décortique le projet de Mahelma, évoque l’absence de cette réflexion, tout comme Zitoun qui est convaincu de l’idée de «remplissage».

«Le plus important est de caser les program-mes de logement et puis on repasse après pour quelques ajustements au fur et a mesure», dit Zitoun Safar qui déplore : «Le gouvernement avait décidé de faire la ville et il fallait la remplir. Nous en sommes à un urbanisme zéro», accentue-t-il encore.

Le cas aussi de Ali Mendjeli où des opérations de «rattrapage» s’opèrent, selon Zitoun où on essaye de créer une âme. Une âme qui existait pourtant dans les villes du 19e siècle, c’est-à-dire les anciennes et qu’on pouvait facilement copier. Le plus important, selon Merhoum, est d’avoir un modèle «rationnel».

D’où le cheval de bataille de l’architecte de défendre la continuité de ce modèle. Car le système d’Alger-Centre ou des autres centres-villes anciens est encore «régénérable». «Il y a la magie du territoire dans ces espaces anciens. Il existe des immeubles qui ont de la mémoire. Si on continue de détruire l’ancien bâti, nous irons tout droit vers un Alzheimer urbain», analyse Merhoum.

source:elwatan

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