La politique du logement de l’État algérien, réputée très « généreuse », véhicule des enjeux économiques, mais aussi politiques et sociaux, très importants… et pas toujours très bien cernés.
Au printemps dernier, Abdelmalek Sellal, quelques mois avant de quitter le Palais du gouvernement, avait surpris beaucoup de monde en affirmant en substance que « le budget des États-Unis ne suffirait pas » pour poursuivre la mise en œuvre de la démarche adoptée dans le domaine du logement par les pouvoirs publics au cours des dernières décennies.
Un économiste aussi réputé qu’Abdellatif Benachenhou n’est pas loin de dire la même chose en calculant, dans son dernier ouvrage, que les subventions multiformes dont bénéficie le logement en Algérie ont représenté entre 5 et 6% du PIB par an depuis le début des années 2000.
En matière de réalisation et de livraison de logements, c’est une véritable pluie de chiffres qui s’est abattue sur les médias algériens depuis quelques jours. Bien que ces informations visent le plus souvent à souligner la poursuite de l’« effort de l’État », relevée à satiété par la communication officielle, elles démontrent aussi que des évolutions significatives sont à l’œuvre dans la politique des pouvoirs publics dans le domaine très sensible du logement des Algériens.
Une forte réduction de la voilure pour le logement social
Une information donnée à la fin de la semaine dernière est un peu passée inaperçue. Tout le monde a bien relevé que le directeur de l’habitat de la wilaya d’Alger, Smail Loumi, a indiqué, tout d’abord, que plus de 52.000 logements seront livrés à Alger en 2018. Ce qui traduit une accélération indiscutable et déjà observée en 2017 du rythme de livraison des logements dans la capitale.
Mais le même responsable a aussi ajouté que plus des ¾ de ces logements sont des logements promotionnels de type AADL ou LPP tandis que moins de 15% sont des logements sociaux (LPL). Pour les logements mis en chantier en 2018 ,qui seront donc livrés à partir de 2019, la proportion des logements AADL et LPP passe pratiquement à 98% et le logement social ne représente plus que 218 unités soit tout juste 1% du programme communiqué par la wilaya d’Alger.
Cette évolution n’est pas propre à Alger. Lors de sa réunion voici quelques semaines avec la commission des Finances et du budget de l’APN dans le cadre du débat sur la loi de finances, le ministre de l’Habitat, Abdelwahid Temmar, a présenté le nouveau programme inscrit dans le cadre du budget 2018.
Il prévoit la réalisation de 120.000 unités de type location-vente (AADL) et 70.000 logements promotionnels aidés (LPA), ainsi que 80.000 nouvelles aides au logement rural. Des chiffres qui confirment donc que l’effort de l’État se maintient avec le lancement prévu cette année de plus de 190.000 logements en milieu urbain et le financement de 80.000 autres en milieu rural. En revanche, plus de traces visibles de logements LPL dans les programmes.
Changement de stratégie
Pour mesurer l’ampleur du changement de stratégie des pouvoirs publics dans ce domaine, il suffit de se reporter aux bilans établis au cours des dernières années. Jusqu’à une période récente, le logement social représentait pratiquement la moitié des logements livrés en Algérie.
En une décennie, entre 2005 et 2014, ce sont près de 80.000 logements sociaux qui ont été livrés chaque année (630.000 selon le ministère de l’Habitat entre 2005 et 2012). En milieu urbain, ce chiffre représentait près de 80% des logements réalisés.
La réduction drastique des lancements de programmes de logements sociaux au cours des prochaines années peut s’expliquer en partie par le fait qu’ils ont été associés de façon étroite (mais non exclusive) à la politique d’éradication de l’habitat précaire. Cette dernière a déjà concerné entre 300 et 400.000 familles.
La plus grande partie du « travail » ayant été réalisée dans ce domaine, les pouvoirs publics peuvent désormais envisager de « réduire la voilure » au cours des prochaines années.
Rien que pour la wilaya d’Alger, selon les chiffres communiqués la semaine dernière, le programme d’éradication de l’habitat précaire a mobilisé depuis son lancement au début de la décennie, plus de 84.000 logements LPL « dans le but d’améliorer les conditions de vie des résidents des bidonvilles et des habitations précaires. Le diagnostic opéré en 2007 avait fait ressortir plus de 72.000 familles à reloger.
À la veille d’une échéance politique aussi importante que celle d’Avril 2019, on peut souligner cependant que dans ce domaine, la wilaya d’Alger dispose encore d’un stock de logements sociaux en cours d’achèvement et dont l’habitabilité est subordonnée au travaux de VRD. Ce qui devrait permettre au total la réalisation d’encore près de 15.000 opérations de relogement en 2018 et 2019.
Le logement « gratuit » ou comment s’en débarrasser
Le logement « gratuit », dans le langage de tous les jours, c’est le logement social destiné aux plus nécessiteux. Il a la particularité en Algérie, comme on l’a indiqué et comme beaucoup d’enquêtes internationales le confirment, d’avoir donné lieu à un investissement particulièrement important de l’État au cours des dernières décennies. Le stock de logements sociaux (désormais appelés LPL pour « logements publics locatifs ») gérés par les OPGI approche du nombre de 1 million d’unités.
Leur gestion se heurte à des problèmes multiples. Le moindre d’entre eux n’étant pas, de façon paradoxale, leur distribution qui donne régulièrement lieu à des émeutes. Le recouvrement des loyers est également un casse-tête pour les OPGI. Des bilans récents mentionnent le chiffre de moins de 50% des loyers effectivement récupérés ; ce qui ne favorise pas spécialement les opérations de maintenance et d’entretien du parc.
La recherche des économies dans ce domaine a également déjà commencé. Elle a poussé les pouvoirs publics à lancer en 2013 une opération de cession de ces logements à leurs locataires. Les prix de vente sont, selon différentes sources, très variables mais généralement abordables. Ils peuvent varier du niveau symbolique de 50.000 dinars, dans certaines régions du Sud du pays, à environ 800.000 dinars à Alger.
On ne dispose pas encore de bilan de cette opération qui semble se dérouler curieusement dans une indifférence assez générale. Y compris celle des « bénéficiaires » de cette opération qui ne paraissent pas avoir manifesté un engouement particulier.
Des économies en perspective pour le budget de l’État
La réduction des programmes de logements sociaux, qui ont représenté jusqu’à 70% des dépenses directes du Trésor public dans le domaine de l’habitat au cours de la période 2005-2014, a déjà des conséquences sensibles sur le niveau de l’effort budgétaire de l’État. Le financement du logement en Algérie, c’était en effet encore en 2016 plus de 477 milliards de dinars de ressources fournies par le Trésor public. Le montant des transferts sociaux budgétisés, en hausse de 7,5% par rapport à la LFC 2015, avait encore échappé aux coupes budgétaires.
En 2018, le décor a beaucoup changé. Le budget du secteur s’élève à 158 milliards de dinars, auxquels s’ajoutent 78 milliards de dinars au titre du compte d’affectation spéciale. Soit au total 266 milliards de dinars attribués par la dernière loi de finance .
Pour Abdelwahid Temmar, qui s’exprimait devant les parlementaires, « le secteur s’emploie à diversifier les modes et les sources de financement des projets d’habitation afin de réduire le financement direct par le Trésor et de tenir compte des capacités financières des ménages ».
Une bonne nouvelle donc pour le budget de l’État mais qui doit quand même être tempérée. La montée en puissance des programmes de logements AADL et LPA prévues au cours des prochaines années va gonfler simultanément le montant des « aides indirectes » au secteur du logement .
On estime généralement que les « aides frontales », dont le montant reste fixé à 700.000 dinars, ainsi que les gros abattements sur la valeur des terrains, les dépenses pour l’aménagement du foncier urbanisable et l’aménagement des réseaux ainsi que la bonification des taux d’intérêt qui sont associés aux nouvelles formules de logements privilégiées par les pouvoirs publics peuvent représenter près de 50% de la valeur des logements réalisés qui resteront donc encore à la charge de l’État .
Source:TSA