Les grands programmes de logements actuels (AADL, LSP, LPP…) en périphérie d’Alger ce doit être la même chose dans les autres villes d’Algérie semblent le plus souvent ne pas s’insérer dans un plan d’aménagement général ou un plan d’aménagement du territoire, tellement les incohérences sont criantes.
Ces programmes engagés sous le sceau de l’urgence, voire à visées électoralistes, sont et seront à l’origine de la déstructuration des espaces dans lesquels ils sont implantés.
Alger, après s’être étendue de manière démesurée et déshumanisée vers l’Est (région du Sahel et Mitidja) à partir des années 1980-90 (Bab Ezzouar, Bordj El Kiffan, Aïn Taya, Dar El Beida, El Hamiz…) réduisant presqu’à néant le riche espace agricole, «conquis» depuis par la prolifération frénétique des cités, se déverse aujourd’hui en direction de sa périphérie ouest proche et plus lointaine, au relief plus mouvementé.
La lecture du dossier intitulé «Forte pression sur les terres arables», présenté dans le supplément Economie d’El Watan du 3 mars 2014, interpelle les professionnels de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire. Ce dossier n’aborde la problématique du développement de logements dans la région d’Alger que sous l’angle de la consommation, voire de la dilapidation de terres agricoles. La réalisation de programmes de logements aussi volumineux que ceux en cours et projetés dans l’avenir immédiat n’est pas abordée du point de vue de son impact sur la structuration de l’espace qui en résultera — aux niveaux local et régional — et donc de l’aménagement du territoire qu’il y a lieu d’appréhender de manière rigoureuse pour ne pas aboutir à des effets inextricables sur la gestion de ces espaces dont la mobilité des personnes dans l’espace régional en est la perception la plus immédiate.
Cela fait des lustres que la consommation d’espace agricole est sempiternellement évoquée — à juste titre — dès qu’est abordé le développement urbain d’Alger et de sa périphérie, tout comme tous les instruments d’urbanisme et de planification spatiale proposent en contrepoint des alternatives — jamais mises en application — pour préserver cet espace rural. Aujourd’hui, celui-ci qui a d’abord été «timidement» grignoté il y a quelques décennies, puis soumis au mitage par l’accroissement de programmes urbains sur les terres agricoles en périphérie des petites agglomérations et villes de la région d’Alger, est actuellement totalement phagocyté, les parcelles agricoles résiduelles apparaissant dans les meilleurs des cas comme des îlots de «verdure» en sursis, le plus souvent comme des friches en attente d’affectation.
Si aujourd’hui on affirme que les terrains mis à la disposition des programmes de logement ont un «rendement très faible», «qui ne sont pas destinés à être cultivés», c’est que les meilleures terres ont déjà été accaparées par l’urbanisation et que ces terrains ont été «préparés» pour être extraits de la surface agricole en devenant non rentables par les démembrements successifs qu’a connus la propriété foncière rurale et son mitage par des cités et des lotissements.
Parmi les instruments d’urbanisme qu’Alger a connus depuis les années 1970, citons le POG (Plan d’orientation générale) de 1975 et le PUD de 1983 qui, à l’époque, invoquaient chacun, l’un après l’autre, la nécessité de préserver les terres agricoles, de rationaliser l’aménagement urbain et de limiter l’extension urbaine dans certaines zones.
L’argument de préservation des terres agricoles n’est plus opérant aujourd’hui tellement tout le Sahel et la Mitidja sont depuis longtemps submergés par le béton et le développement urbain anarchique qui s’est non seulement greffé sur les villages et petites agglomérations anciennes sans vision urbanistique réelle, mais aussi en réalisant des conurbations urbaines déstructurées, sans âme, sans hiérarchisation des espaces, ni des voies de circulation, uniformément laides et non fonctionnelles.
Les meilleures terres agricoles du Sahel algérois, tant celles de l’est, englouties dès les années 1980-90, que celles de l’ouest (Aïn Benian, Staouéli, Zéralda, etc.), étaient parmi les plus riches d’Algérie et pouvaient permettre deux, voire certaines années exceptionnelles trois récoltes par an de produits agricoles à forte valeur (maraîchages).(1) Cet espace agricole n’existe pratiquement plus, hormis quelques poches encerclées par l’urbanisation.
Quant à la Mitidja, son sort ne fut pas meilleur. Si pendant un temps la Mitidja ouest semblait préservée, ce n’est plus le cas actuellement. Pour illustrer cette gabegie, il n’y a qu’à emprunter l’autoroute Alger-Blida ou celle d’Alger-Koléa et constater que les vergers et les cultures maraîchères ont le plus souvent laissé place à des unités industrielles, à des hangars, à des espaces commerciaux… Ce constat peut malheureusement être fait pour tous les espaces ruraux traversés par des voies rapides et autoroutes, facteurs favorisant de telles implantations.
Aujourd’hui, les nouveaux programmes d’habitat se localisent sur des espaces ruraux, forcément de moindres potentialités agricoles que ceux des décennies précédentes. S’il est légitime de penser que l’on ne peut pas arrêter le développement de la ville et améliorer les conditions de vie de la population urbaine, on doit en revanche orienter et canaliser cette croissance, on doit surtout structurer l’espace et éviter de répéter inlassablement les mêmes erreurs. Cette approche suppose une vision stratégique en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire. Ce qui ne semble absolument pas être le cas pour les raisons suivantes :
– les nouvelles cités programmées, souvent plusieurs centaines, voire des milliers de logements, sont localisées à la périphérie d’agglomérations rurales ou semi-urbaines, sans cohérence fonctionnelle et architecturale avec le bâti existant. Comme lors des décennies précédentes, c’est la même logique qui est mise en œuvre à Douéra, Souidania, Draria, Baba Hassen, Saoula, un continuum pseudo-urbanisé, s’étirant le long de routes secondaires inadaptées et sous-dimensionnées pour les flux de circulation à venir.
– Ces nouveaux programmes d’habitat sont implantés sur des sols aux reliefs accidentés, aux caractéristiques géotechniques médiocres du
Sahel ouest pour lesquels des travaux de confortement, de renforcement, de soutènement et de stabilisation des talus engendreront des surcoûts de construction. Selon la monographie géologique et géotechnique de la région d’Alger(2), ces sols, des marnes du plaisancien (d’épaisseur supérieure à 200 m), très peu perméables, affleurant surtout au niveau des collines, ont un comportement «évolutif» dangereux sur la stabilité des talus et sont de «qualité médiocre sujette à fluage et aux
glissements» ; ces sols sont le siège de «gonflements (lors d’une recharge insuffisante et dans des conditions de saturation en eau) et d’écroulement (lors de décapages excessifs et de dessèchement des parois mises à nu)».
A-t-on suffisamment analysé l’incidence de ces paramètres géotechniques sur la viabilité et la pérennité de ces programmes importants d’habitat implantés sur les collines du Sahel ? Plusieurs projets en cours sur ce type de sol à la topographie accidentée connaissent déjà des difficultés et des retards de travaux. Une urbanisation débridée, faisant fi de ces paramètres, peut à plus ou moins long terme conduire à la catastrophe.
– Toute la région d’Alger étant située en zone sismique III, la plus élevée du point de vue intensité des séismes, l’aléa sismique est aggravé par la nature géotechnique médiocre de ces sols. En 2003, à la suite du séisme de Boumerdès, les pouvoirs publics avaient décidé d’accélérer l’élaboration du plan de zonage de l’aléa sismique dans la région d’Alger ; ce plan est-il opérationnel ? La forte urbanisation d’Alger et ses environs ces dernières années ayant fortement augmenté le risque d’effets dévastateurs des séismes, comment ce risque est-il pris en compte dans les études d’impact ?(3) L’étude sur la vulnérabilité et l’adaptation de la wilaya d’Alger au changement climatique et aux risques naturels(4) indique bien dans sa conclusion de la phase 1 (évaluation et représentation des sources de vulnérabilité. Stabilité des terrains naturels, séismes et tsunami) datée du 9 avril 2013 que tout le Sahel occidental d’Alger présente une susceptibilité aux mouvements de terrain dite «moyenne» à «forte», selon la pente naturelle des terrains, qu’accentuent les «actions anthropiques» (c’est-à-dire induites par l’activité humaine). Dans toute la wilaya d’Alger, c’est le Sahel occidental (tout comme le massif de Bouzaréah) qui est le plus concerné par ce risque.
– Malgré la construction d’un réseau autoroutier et de voies rapides de plus en plus denses, les difficultés de mobilité de la population ne font que croître, ce réseau routier, non hiérarchisé, est inadapté, les nouveaux quartiers étant mal connectés et desservis par ces voies rapides qui sont de ce fait toujours engorgées.
La réalisation de nouveaux programmes devrait être précédée par l’adaptation, la restructuration, voire l’extension de ce réseau et non le contraire, comme actuellement. N’est-il pas temps aujourd’hui de requalifier tous les espaces périphériques fortement urbanisés de la capitale, de restructurer ces espaces ? Un travail de réflexion important est nécessaire dans cet objectif pour éviter de se retrouver dans quelques années avec des banlieues interminables, indéfinies, déshumanisées et ingérables.
Les plans successifs d’urbanisme d’Alger ont régulièrement programmé de reporter le développement de la ville sur les piémonts de l’Atlas en évitant le déversement de la ville sur sa périphérie immédiate aux riches terres agricoles, mais rien ne semble interrompre la prolifération continue des excroissances de la capitale sur l’espace environnant. Il est certain que cette réflexion doit aboutir à réorienter toute l’urbanisation d’Alger – ainsi que celle de toutes les villes du littoral – vers l’arrière-pays. Depuis tant d’années que l’«option Hauts-Plateaux» est évoquée, c’est surtout vers le littoral que l’urbanisation s’est le plus développée, accentuant le déséquilibre entre la bande côtière et l’arrière-pays, renvoyant aux calendes grecques le véritable développement du pays.
Cette réflexion, pluridisciplinaire, devra s’appuyer sur l’ensemble des compétences et ses conclusions devront s’imposer aux décideurs comme des orientations d’aménagement et non le contraire, comme le plus souvent, les études étant conduites pour justifier des choix effectués a priori.
Source: El Watan