Un homme politique et non des moindres, puisqu’il s’agit de Abdelaziz Bouteflika, s’est fait élire, en 1999, président de la République avec, entre autres, ce slogan souvent martelé : «La politique de l’assistanat, c’est fini !» Certes, il est vrai que les choses se sont passées autrement depuis, et la manne pétrolière a été non seulement la bienvenue en tout, y compris dans le domaine de l’habitat, où l’on a certes réalisé des programmes de logements par milliers.

Mais l’effort ainsi entrepris s’est dilué dans les contestations populaires, réduisant presque à néant toutes les politiques en la matière.
Les autorités ont prévu l’attribution de près de 25 000 nouveaux logements pendant ce Ramadhan sur l’ensemble du territoire national. Ces opérations de relogement profitent sûrement aux citoyens nécessiteux, mais ceux qui en tirent le plus grand bénéfice ce sont les habitants des bidonvilles, dont certains sont résidants de «fraîche date». Il leur a suffi pour cela de «patienter» quelques années, tout en se rappelant de temps à autre au bon souvenir de leurs maires locaux, soucieux avant tout de la préservation de l’ordre public.

Et le secteur de Abdelmadjid Tebboune n’en peut plus ; l’entreprise est titanesque tout comme la crise de logement et les bidonvilles continuent à faire florès : c’est une question sans fond, comme le tonneau des Danaïdes. Essayons tout de même d’en démêler l’écheveau en les distinguant déjà par catégories :
• ceux hérités de la colonisation ;
• ceux construits dans les années 1970 ;
• ceux érigés dans les années 1980 ;
• ceux érigés lors de la décennie noire des années 1990/2000 ;
• Ceux, enfin, dits de fraîche date.

1- Concernant tout d’abord la première catégorie, qui peut affirmer, au risque de faire injure et de porter le discrédit sur tous les responsables d’alors, que ce type d’habitat, rappelons-le, constitué par exemple des centres de regroupement de triste mémoire, subsiste encore en 2014 et que ses habitants n’ont pas été logés par tous les walis qui se sont succédé depuis 1962.

2- Pour la deuxième catégorie, la Révolution agraire et les 1000 Villages socialistes, les deux mamelles d’une politique mise en place par souci d’équilibre régional, étaient censés juguler l’exode rural de ces années-là, relever la production agricole, améliorer la productivité et mettre fin au chômage et au dénuement qui prévalaient dans les territoires de l’Algérie profonde. L’exode rural, inexorable, était expliqué alors par les disparités de revenus entre les campagnes et les villes et par l’espoir des ruraux de trouver un emploi dans les grandes cités.

3- La troisième catégorie, celle des années 1980, s’est illustrée par le slogan : «Pour une vie meilleure», qui a mis à terre, sans jeu de mots, toute la politique agraire des années précédentes qui s’est traduit par un exode massif de ruraux qui ont envahi la périphérie des grandes villes.
Des populations entières ont repris, volontairement, le chemin de la ville, pour goûter aux délices «du Programme antipénurie», le fameux «PAP». On continue, à ce jour, à recaser dans les nouvelles cités les habitants de ces bidonvilles «résiduels», nonobstant des opérations «coup-de-poing», consistant à raccompagner ces «bidonvillois» dans leur wilaya d’origine, à travers une noria de camions réquisitionnés pour l’opération.

4- La quatrième catégorie, celle des années 1990/2000, est de loin la plus fournie, car constituée de familles ayant déserté leur région pour des raisons sécuritaires liées à la décennie noire. Avec la paix retrouvée et la politique de la concorde civile, ces familles ont reçu toutes les assurances politiques, sociales et économiques pour retrouver leur foyer, leur terre et leur outil de travail et retourner dans leurs régions sécurisées.
L’Etat n’a pas lésiné d’ailleurs sur les moyens :

• en termes de relèvement de tous les indicateurs socio-économiques des régions concernées ;
• d’aides et de prêts multiformes, parfois en concours définitifs qui ont été alloués pour permettre à toutes ces populations de retrouver leur mode de vie, leur confort et vivre de leur labeur

Beaucoup de ces personnes ont préféré rester, comme on le verra plus loin, même si certaines d’entre elles ont pris le chemin du retour, en laissant toutefois leurs enfants profiter de «l’usufruit» du bidonville et prétendre à leur tour à un logement.

5- La cinquième catégorie enfin, dite «de fraîche date», formulation empruntée au wali d’Oran d’alors, ministre de la Santé aujourd’hui.
Concernant les ingrédients qui facilitent l’implantation de bidonvilles classés dans cette catégorie dite de fraîche date, on peut citer dans l’ordre :
– des citoyens sans scrupules ;
– une maffia agissante du foncier ;
– des employés véreux au niveau de la distribution d’eau et d’électricité ;
– le laxisme des élus et autres responsables locaux.

Pour résumer, si l’on tient compte de ce qui a été affirmé supra, la clef des bidonvilles est toute trouvée, si l’on admet leur classification telle que proposée et qui repose quand même sur un fondement juridique avéré :

1- Les bidonvilles de la première catégorie «n’existent plus» et n’ont aucune raison d’être, si tout le monde est d’accord sur ce qui a été affirmé.

2- Ceux relevant des années 1970 ont été traités dans le cadre d’une politique en rapport à ces années-là et toutes les mesures complémentaires prises dans le cadre de la Politique nationale du développement du renouveau agricole (PNDRA) sont les solutions les plus adaptées pour endiguer les mouvements migratoires,… mieux en tous cas que les tentatives vaines d’intégrer toutes ces populations dans une politique de relogement, fut-elle massive.

3- Ceux des années 1980 se sont caractérisés par la politique du retour forcé des populations rurales concernées, telle que décidée par le gouvernement de l’époque du défunt président Chadli.

4- Ceux découlant de la décennie noire ont connu des solutions politiques, économiques, sociales et financières adaptées, avec l’encouragement, la protection et la bénédiction des pouvoirs publics.
Si l’on estime qu’il transparaît encore des catégories 2, 3 et 4, telles que sériées, quelques «bidonvilles résiduels», qu’ils soient pris en charge une fois pour toutes à travers les programmes à venir.
En tous les cas, les migrations des zones rurales vers les villes ne cesseront pas tant que le mouvement d’urbanisation agit comme une pompe aspirante.
Et, paradoxalement, l’urbanisation est provoquée essentiellement par l’afflux des ruraux que les pouvoirs publics n’ont de cesse de reloger dans une logique de spirale infernale !

5- Pour ceux dits de «fraîche date», la réponse idoine consisterait – il faut avoir le courage de le faire – «au déclenchement d’opérations non-stop de démolition des bidonvilles tentaculaires» comme l’a fait, en son temps,
Abdelmalek Boudiaf. Pour brutale qu’elle puisse apparaître, cette mesure, si elle venait à être généralisée dans les 48 wilayas, est un mal nécessaire pour éradiquer une fois pour toutes ce type d’habitat profitable à la maffia.

Dans la négative, si on venait à rester les bras croisés :

• on verra réapparaître spontanément des bidonvilles dans les sites mêmes où se sont déroulées des opérations de relogement des populations ;
• on continuera à faire face aux indus bénéficiaires se prétendant sinistrés, et Abdelmadjid Tebboune aura beau les éjecter des listes, ils réapparaîtront ailleurs ;
• certains bidonvilles, comme ceux érigés à Oued Aïssi (Tizi Ouzou), continueront à servir de base arrière à la mendicité et à la traite des enfants.
Les bidonvilles, outre l’embarras qu’ils suscitent pour les collectivités locales en matière de résidence, de fichier électoral, d’inscription scolaire et les maux sociaux qu’ils induisent, impactent sur :
• le marché informel dont ils fournissent la main-d’œuvre et les caches des marchandises prohibées, sans compter le préjudice occasionné au Trésor public estimé à plus de 400 milliards de dinars ;
• la contrefaçon dont ils sont un chaînon important ;
• les attaques préjudiciables aux réseaux électriques et hydriques ;
• le marché de l’emploi, dès lors que les postes de gardien, agent de sécurité et chauffeur sont pris d’assaut par les habitants des bidonvilles, ce qui permet à un grand nombre d’entre eux de s’adonner à d’autres activités non déclarées.
Ceux d’en haut savent pertinemment que le logement est un enjeu social, mais aussi politique. Ils doivent donc en user avec prudence et sans démagogie, car il risque de faire éclater la cohésion sociale et de-là réduire à néant les progrès accomplis en matière d’habitat par notre pays, qui reste quand même un des rares voire le seul pays au monde à donner presque gratuitement le logement social et fermer les yeux sur la spéculation qui en découle :
– il est rétrocédé, sans problème et sans scrupule, grâce à la maffia et ses réseaux dans l’administration ;
– il est mis sur le marché locatif, toute honte bue, au nez et à la barbe de l’OPGI et parfois même avec la complicité passive de certains notaires ;
– il est inoccupé, aux trois quarts du temps, par ceux-là mêmes qui ont provoqué des émeutes pour en bénéficier.
De ce qui précède, il apparaît plus qu’impérieux de :

1- revoir tous les critères d’accès au logement social ;

2- revoir la conception architecturale des cités-dortoirs dont l’usage révulse les Algériens, peuple et Président ;
3- mettre en œuvre, sans délai, la directive présidentielle préconisant le recours aux cités intégrées, celles qui préservent l’environnement et prennent en compte les équipements d’accompagnement nécessaires à la communauté de vie ;
4- diversifier les partenaires étrangers et les mettre en compétition ;
5- multiplier les offres pour l’habitat d’urgence (maisons en bois, chalets adaptés) ;
6- prévoir des stocks d’urgence de ce type d’habitat ;
7- prendre en considération le mal-logement qui reste, quoique l’on pense, la partie non immergée de l’iceberg ;
8- encourager l’habitat rural ;
9- reconsidérer enfin, au plan légal, la question de la cessibilité du logement social, pour en réduire la spéculation.

Ajoutons pour finir une recommandation tenant lieu d’avertissement : lorsque l’habitat est de mauvaise qualité et se situe dans un environnement détérioré, il impacte négativement sur la santé mentale des habitants et se traduit par des réactions de violence et de rejet de la vie en communauté. En définitive, toutes ces réflexions sur les bidonvilles n’ont pour objectif que de susciter quelques réactions sur la crise qui en découle et qui promet de perdurer si on continue à laisser faire les choses, en violation de la réglementation !
Au niveau local, la responsabilité des chefs de daïra et autres walis est engagée. Ils ne peuvent plus rester les bras croisés devant cette maffia dont les chefs agissent à visage découvert, attaquent le foncier, érigent des baraques, les louent ou les rétrocèdent à 30 ou 40 millions l’unité, en assurant aux locataires l’eau et l’électricité…

Et à terme, cerise sur le gâteau, un logement sans coup férir ! Au niveau central, ceux qui, aujourd’hui, sont aux commandes au ministère de l’Intérieur et dans le secteur de l’habitat savent bien que la situation est économiquement incertaine, car dépendante des hydrocarbures, socialement inquiétante au regard des besoins grandissants des populations et politiquement dangereuse, compte tenu des agitations constatées à nos frontières. En conséquence, ils doivent revoir de fond en comble leur politique de relogement, celle qui met en tête de leurs priorités «les bidonvilles» qui n’en finissent pas de renaître de leurs cendres et d’exacerber davantage la crise du logement.
Source: El Watan

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