Hassi Messaoud, nom lié au pétrole, première richesse nationale, fait du surplace. Classée «zone à hauts risques» depuis déjà douze ans, la ville est devenue un périmètre où il est interdit de construire même des écoles !
A Hassi Messaoud, la capitale pétrolière du Sud algérien, rien ne peut être construit. La ville, qui s’est développée dans l’anarchie et qui est située à 630 km d’Alger, est figée dans l’espace et dans le temps. «Hassi Messaoud devrait ressembler aujourd’hui à une mégapole comme Dubaï. Ce n’est malheureusement pas le cas.
On ne peut pas dire à un visiteur étranger que Hassi Messaoud est la capitale du pétrole en Algérie. Une capitale qui assure presque 40% du budget de l’Etat algérien !», a regretté le cinéaste Ahmed Rachedi, lors des Premières Rencontres cinématographiques de Hassi Messaoud, organisées à la mi- décembre 2016. Il n’y a ni gratte-ciel, ni Mall, ni palaces, ni grands espaces aquatiques, ni multiplex, ni grandes rues. Qu’a-t-on donc fait pendant cinquante ans ?
L’aéroport ressemble à un hangar et la ville à un gros village moche. Les torches sont toujours là pour rappeler que Hassi Messaoud est la ville la plus riche et la plus chère d’Algérie. «Notre budget annuel est de 500 milliards de centimes annuellement. Nous ne sommes pas concernés par l’austérité. Nous ne dépendons pas des dotations de l’Etat», a confié Mohamed Yacine Bensaci, président de l’APC de Hassi Messaoud.
Depuis avril 2005, le périmètre d’exploitation du gisement de Hassi Messaoud est classé «Zone à risques majeurs». Le périmètre est en fait la ville elle-même ! A l’époque, Ahmed Ouyahia, alors chef de gouvernement, a signé le décret exécutif 05/127 en application de la loi 04/20 du 25 décembre 2004 relative à «la prévention des risques majeurs et à la gestion des catastrophes dans le cadre du développement durable».
L’article 4 du décret Ouyahia a interdit à l’intérieur du périmètre de Hassi-Messaoud «toute construction, réalisation ou investissement à caractère industriel, commercial, touristique ou agricole et, de façon générale, toute autre opération qui n’est pas directement liée à l’industrie des hydrocarbures». Est interdit également tout octroi de permis de construire et/ou de concession «qui n’est pas lié directement à l’industrie des hydrocarbures». Autrement dit, la construction d’une école, d’un hôpital ou d’un hôtel est interdite n’ayant pas de lien avec les activités pétrolières ou gazières.
Seuls les titulaires de titres miniers ont le droit de réaliser des ouvrages à l’intérieur du périmètre mais sous plusieurs conditions techniques et sécuritaires. Résultat : la population de la ville, estimée à 120 000 habitants actuellement, a doublé depuis 2004, sans qu’aucune école ou un lycée ne soient construits. En 2011, une instruction présidentielle a été promulguée pour «débloquer» la situation d’une manière temporaire. «Mais ce texte n’a jamais été appliqué par les walis qui se sont succédé à Ouargla.
Abdelkader Djellaoui, l’actuel wali, a décidé d’appliquer pour la première fois cette instruction qui autorise le lancement de projet en passant outre le gel, à condition que l’opération soit nécessaire, justifiée. Le pouvoir de décision revient au wali, lequel wali a décidé de construire une école primaire à Hassi Messaoud, la première depuis 2004. Cela peut libérer l’initiative. Enfin, on l’espère», soutient Maher Tliba, patron de ETTB (Tliba travaux publics), entreprise bien installée à Hassi Messaoud.
Au rythme de la tortue !
«Il est question de construire une nouvelle ville avec toutes les infrastructures nécessaires. Les jeunes, par exemple, veulent avoir des espaces pour des activités culturelles ou sportives. Mais là, on ne peut rien faire. Le projet de la nouvelle ville est en cours de réalisation mais pas au rythme que nous voulons. Les habitants de Hassi Messaoud ne vont pas occuper les nouveaux logements de sitôt. Les constructions des habitations ont commencé mais pas les infrastructures vitales qui vont avec, comme les bureaux de poste, les écoles, les commissariats de police, les cliniques, etc.», a regretté le président de l’APC.
Le siège du chef-lieu de la commune de Hassi Messaoud a été déplacé à Oued El Merâa, sur le territoire de la commune de Hassi Ben Abdellah dans la daïra de Sidi Khouiled. Depuis, c’est le provisoire qui dure. Le projet de la nouvelle ville avance au rythme d’une tortue malade depuis 2012 pour être achevé en 2020 ! Autrement dit, il existe un passage à vide entre 2005 et 2012 qui n’a pas d’explication. Pourquoi avoir gelé une ville et n’avoir pas pris toutes les dispositions nécessaires pour lancer les travaux de la cité du futur rapidement ?
Quel est le manque à gagner ? Et où étaient donc les autorités lorsque Hassi Messaoud avait été construite sur un réseau de pipelines et de conduites, une véritable bombe à retardement ? Etaient-elles aveuglées par l’épaisseur de l’or noir et des billets verts ? Un établissement public à caractère industriel et commercial, EVNH, s’occupe de la nouvelle ville depuis 2008. Sur le papier, l’EVNH, qui dépend du ministère de l’Energie et des Mines, veut construire une nouvelle ville sur le modèle d’une oasis urbaine qui fonctionne à l’énergie solaire et éolienne.
Un schéma établi par un bureau d’études sud-coréen. Depuis l’été 2015, des travaux d’aménagement ont été lancés avec un programme de 2000 logements confié à une entreprise chinoise. Le décret de 2005 prévoit des expropriations «pour cause d’utilité publique». Le même texte a autorisé à titre transitoire l’achèvement de la construction de 100 logements AADL à l’intérieur du périmètre. Des logements qui seront détruits après puisque la zone est reconnue «à haut risque» ! A-t-on fait une estimation de la perte là aussi ?
Selon l’EVNH, la nouvelle ville, dont le coût global demeure toujours inconnu, sera située dans la région de Oued El Marâa, à 80 km de l’actuelle Hassi Messaoud, de Ouargla et de Touggourt, à équidistance avec un double périmètre d’urbanisation et d’extension de plus de 3000 hectares. Plus de 20% de la superficie de la future ville seront réservés aux espaces verts avec une bande fraîche de 6 km destinée notamment à protéger la nouvelle cité de l’ensablement. Ce qui est déjà une belle idée pour cette zone désertique, surtout que des points bleus sont prévus dans les espaces publics de la nouvelle ville.
Ville écologique
Et 35% de la future ville seront consacrés aux zones résidentielles, avec tous les équipements publics qui vont avec. «Ne construisez pas comme à Bab Ezzouar !», a conseillé Abdelmalek Sellal, Premier ministre, lors de sa visite de travail dans la région en avril 2015. Mais la New Hassi Messaoud, une ville écologique, ne sera ni Dubaï, ni New York, ni Saô Paulo. La vision est certes futuriste, mais l’ambition limitée. Trop limitée même.
La nouvelle ville aura, selon le projet de l’EVNH, quatre gros quartiers habités par au maximum 80 000 habitants (les immeubles prévus ne dépassent pas les trois étages). Un centre- ville est prévu avec une grande esplanade, des commerces, des hôtels, des structures de loisirs et de culte et des institutions publiques.
L’entreprise publique Cosider et quatre de ses filiales sont chargées de réaliser les voies et réseaux divers (VRD) au niveau d’une Zone d’activités logistiques (ZAL) qui, plus tard, sera le lieu de construction des administrations publiques et d’infrastructures économiques, sociales et culturelles. La ZAL, qui s’étend sur 1000 hectares au sud de la nouvelle ville, est située à côté de la RN3 et à proximité de la future ligne ferroviaire Hassi Messaoud-Touggourt.
Les travaux doivent, théoriquement, être achevés la fin 2018. Pour Mohamed Yacine Bensaci, le futur de Hassi Messaoud sera également agricole et touristique. «De la grande ferme de Gassi Touil sortiront des tonnes de céréales dans les prochaines années. Le puits historique de Messaoud Rouabah sera bientôt un endroit touristique à visiter. Nous menons actuellement des travaux d’aménagement avec une enveloppe de 6 milliards de centimes. Nous voulons que le futur visiteur de Hassi Messaoud ait un repère. Les Rencontres cinématographiques auxquels nous avons participé prouvent que la ville peut être un pôle culturel aussi», a-t-il estimé.
Il a rappelé que la région rassemble le nombre le plus élevé de techniciens et d’ingénieurs algériens. Les grands groupes pétroliers y sont également installés, comme Halliburton, BP, Anadarko, Sonatrach… «Nous voulons profiter de leur présence pour réfléchir à des projets d’avenir pour la région. Nous voulons par exemple développer le tourisme culturel. Nous en avons les moyens même si l’infrastructure hôtelière est encore faible. La plupart des sociétés pétrolières ont leurs bases vie ici», a relevé Mohamed Yacine Bensaci.
Hassi Messaoud, qui n’a aucune salle de cinéma, ni une salle de théâtre,s ni une galerie d’art, possède cinq hôtels privés. Une dernière question : pourquoi ne pas faire déplacer le siège social de Sonatrach d’Alger vers la nouvelle ville de Hassi Messaoud ? De cette manière, Hassi Messaoud méritera le titre de capitale du pétrole…
Source: Elwatan le 24-02-2017