Les Algériens se rabattent en masse sur les différentes formules du logement social pour acquérir un toit. C’est la seule possibilité pour eux d’accéder à un logement de par les modalités et les facilités de payement qui leur sont offertes dans un marché où le rêve coûte les yeux de la tête.
Contacté pour en savoir un peu plus sur le créneau de l’immobilier, Mr Barkat Noureddine, directeur d’une agence immobilière depuis 20 ans à Constantine, confirme la hausse exponentielle des prix du logement et nous confie dans ce sens «qu’un F2 dans le Bosquet coûte jusqu’à 600 millions de centimes, un F3 dans une cité populaire dépasse les 700 millions, alors que certains appartements bien aménagés sont hors de prix. Comme ce F3, à la cité Daksi, vendu à 1 milliard 450 millions de centimes. Même les logements sociaux, pourtant frappés de clauses d’incessibilité, sont vendus au prix fort, un F4 LSP, donc sans acte de propriété, est proposé à 850 millions de centimes !». Même dans certaines zones classées à risque à cause de la nature de leurs terrains glissants et dont les propriétaires ou locataires ont été avisés de l’incessibilité, comme toute la région de la Casbah jusqu’à la Brèche, ces logements font encore l’objet de transactions très chères.
Ce sont ces prix qui dépassent tout entendement, dira Mr Barkat, «qui expliquent cette frénésie des Algériens pour le logement social ou le logement aidé, la classe moyenne et beaucoup d’autres catégories sociales ne pouvent se permettre un logement payé cash».
Bien que ces nouvelles formules dites, LPA, LSP, LPP ou AADL ne sont pas la panacée contre la crise du logement, leurs prix sont «étudiés» et elles offrent certains avantages qui permettent le cumul des ressources financières des deux conjoints ; d’autres prennent en charge le coût du terrain et les travaux des VRD ainsi que l’apport, un don, du Fonds national de péréquation des œuvres sociales (FNPOS) qui peut atteindre 50 millions de centimes.
Quand aux terrains, là aussi les chiffres donnent le vertige. A Sidi Mabrouk, dans des zones appréciées par les investisseurs, le mètre carré a atteint la somme astronomique de 20 millions de centimes. Mr Barakat invoque aussi cette vieille bâtisse à raser, 435 m2, cédée à 7 milliards de centimes, soit 16 millions le m2. Le moins cher est ce lot de terrain, 300 m2,dans la nouvelle ville, éloigné et mal situé, vendu 1 milliard 400 millions de centimes, soit à peu près 5 millions de centimes le m2.
Pour Mr Barkat, comme pour tous les agents immobiliers, cette cherté de l’immobilier est liée à plusieurs facteurs. D’abord, il y a le manque d’assiettes foncières. Dans une ville comme Constantine au relief accidenté, irrégulier et rocailleux, il est difficile de trouver la moindre parcelle à même de servir de socle pour la réalisation de bâtisses. Un autre facteur, dont tout le monde parle aussi, mais surtout les promoteurs immobiliers, c’est le déficit constaté en matière de matériaux de construction. Le ciment particulièrement. Certaines sources estiment le déficit à 4 millions de tonnes/an. Le prix de ces matériaux, qui constituent le premier maillon de la chaîne, se répercute inéluctablement sur le prix du dernier maillon, le logement fini. Il y a aussi, selon Mr Barkat, la spirale spéculative qui fait des ravages sur le marché de l’immobilier. C’est, dira-t-il, devenu «un marché sauvage, sans morale ni éthique», infecté d’opérateurs dont le seul but est le gain rapide. Les prix, ajoute-t-il, «sont parfois faits par la rumeur, tel le voisin qui aurait vendu son appartement à tel prix ». Sans oublier bien sûr que l’immobilier, qui est un produit comme un autre, obéit à la loi de l’offre et la demande.
Un notaire explique à ce propos que «si on constate effectivement que la demande est énorme, personne par contre ne peut estimer la quantité de l’offre disponible. Même au niveau des institutions de l’Etat chargées du dossier, c’est à peine depuis quelques mois qu’on commence à évoquer le fichier national du logement. Un outil qui reste encore mal maîtrisé et pas tout à fait au point». Et d’ajouter :« Le seul indicateur fiable pour le moment qui atteste que l’offre est insuffisante et que les Algériens sont loin d’avoir étanché leur soif de logement, une soif mise en évidence par ces chiffres impressionnants lors du lancement des souscriptions aux logements AADL, ils étaient plus de 84000 inscrits en une journée à travers le territoire national !». Autre signe de l’insuffisance de l’offre, et donc de la flambée des prix, ce sont «ces manifestations et ces protestations quotidiennes dans les villes et même dans les campagnes pour demander un logement et parfois pour dénoncer les abus tels que les bénéfices à répétition, malgré le fichier national». Cette insuffisance, malgré les efforts de l’Etat, s’explique par cette action devenue automatique de déposer une demande de logement de la part de tout Algérien arrivé à l’âge de procréer, homme ou femme. C’est un changement radical dans les mœurs et les comportements des jeunes d’aujourd’hui. Quitter très tôt le bercail familial n’est plus perçu comme un pêché, même les parents poussent dans ce sens.
A ces prix astronomiques, ces logements et ces terrains, trouvent-ils preneurs ?
Mr Barkat répond : «Oui, toujours». Il suffit de l’annoncer pour que des acquéreurs se bousculent aux portillons des agences. Quant à leur profil, «ce sont généralement des jeunes», dit-il et qui payent leurs transactions en liquide. Jamais de chèque. Ce sont des sommes colossales transportées dans des cabas. A la question si «la provenance de cet argent est douteuse» ? Mr Barkat répond que « rien dans la loi, actuellement, n’interdit cette façon de procéder». Et d’ajouter «c’est une aubaine dont ont profité tous ceux qui ont voulu injecter leur capitaux dans le circuit légal de l’économie». D’ailleurs, dira-t-il, «l’immobilier est le seul créneau où ils investissent massivement en toute discrétion, parce que c’est le seul secteur où aucune justification sur la provenance des capitaux n’est exigée». Il conclut «certains appellent ça le blanchiment d’argent». Quant aux prix de location, «même s’ils restent hauts, ils n’augmentent pas très vite et on ne peut pas parler de flambée», assure Mr Barkat, «on peut trouver aujourd’hui à Ali-Mendjeli des locations à 15000 dinars dans les unités de voisinage les plus éloignées du centre urbain de cette agglomération», et ces prix «peuvent atteindre 20 à 22000 dinars au centre-ville», quant à Constantine-ville «les prix de location varient entre 25 et 35000 dinars».
Ce qui est nouveau dans ce domaine, ce sont les sites internet qui proposent des locations dont les prix sont affichés dans les deux monnaies, le dinar algérien et l’euro.
Le prix de location d’un F3, à Constantine est ainsi indiqué, 16000 dinars ou 140.7 euros.
Ce dernier chiffre montre bien que la parité entre le dinar et l’euro est calculée selon le taux du marché informel et non celui de la Banque d’Algérie.
«Cette référence à la monnaie européenne n’est pas innocente, nous dit un locataire, car les propriétaires visent et préfèrent les personnels des entreprises étrangères présentes en force ces dernières années dans la wilaya. Elles sont jugées généreuses et payent en monnaies fortes, dollars ou euros.»
Un dernier indicateur, et pas des moindres, qui donne l’impression de rareté du logement et ajoute à la crise, ce sont les logements inoccupés ou vides. Il y a deux ans, un chiffre effarant a été rendu public, «plus d’un million de logements sont inoccupés». L’idée de taxer fortement les propriétaires de ces logements, pour les obliger à les louer, a été envisagée mais très vite abandonnée.
A ce propos, un citoyen qui attend un logement depuis des années et trouve des difficultés à en louer un, nous dira «quand des milliers de logements sont attribués et restent inoccupés, d’un côté, et des milliers de demandes qui restent insatisfaites, de l’autre côté, cela s’appelle la mauvaise répartition des richesses».
Source : lequotidien