CONSTANTINE- Inexorablement, le turbo-urbanisme et la démographie exponentielle, avec en toile de fond des excroissances ségréguées, « sustentent » la ghettoïsation de la nébuleuse des agglomérations satellites qui émergent sans logique territoriale ni environnementale favorisant, du coup, la montée de la violence urbaine.
Confrontée à un boom démographique, le gouvernement a lancé un programme éléphantesque de construction de logements, mais cette bétonisation à outrance a rongé la moindre parcelle de terrain, sacrifiant les aires de jeux et de détente.
A défaut d’espaces de sociabilité, nourrie par la précarité sociale, le chômage et la drogue, la violence urbaine ne cesse de croitre dans les milieux juvéniles, notamment chez les recalés du système éducatif, affectés par le désoeuvrement, l’absence de perspectives et d’un « espace vie » adéquat.
Conséquence de l’urbanisation « effrénée et démesurée » des dernières années, la violence urbaine, considérée comme un fléau social, est « montée en puissance », estime Mme Samia Benabbes Kaghouche, architecte urbaniste, professeur-directrice de recherche à l’Université des frères Mentouri de Constantine.
Approchée par l’APS, Mme Benabbes fait état d’un développement des concentrations secondaires qui cohabitent et s’étalent au fur et à mesure de leur existence, au point de laisser place à un phénomène de « conurbation » (ensemble urbain constitué de plusieurs noyaux urbains qui finissent par se rejoindre).
Conceptrice et responsable pédagogique des formations en urbanisme à l’Université Mentouri de Constantine, elle considère que dans cette « mutabilité spatiale », le changement d’échelle du noyau de base dans lequel vit un groupe social donné, associé au chômage, la baisse du niveau de vie, l’absence d’activités sportives et culturelles et l’oisiveté, engendre des comportements agressifs.
Autre paramètre à prendre en considération dans la recrudescence de la violence urbaine, cette universitaire cite « le transfert massif et brutal de populations issues de lieux d’habitat précaire, sans études sociologiques préalables », prenant comme exemple le cas de la nouvelle ville Ali Mendjeli.
Le relogement massif de ces populations à Ali Mendjeli, forte d’une population de plus de 350.000 habitants, a provoqué, selon elle, « un déracinement conjugué à des maux sociaux qu’ils portent en eux, comme le trafic de drogue, le vol et la violence notamment », et qu’on a fait, ajoute-t-elle, « cohabiter dans un espace périphérique, mal structuré et inachevé ».
— Une réponse « quantitative » aux demandes de logement —
Première ville nouvelle en Algérie, le mastodonte Ali Mendjeli n’a jamais été réfléchie en tant que ville, estime Mme Benabbes, relevant que cette méga-cité a été conçue à partir d’une « succession d’unités de voisinage » qui ne sont autres qu’un groupement d’unités de base, où chaque élément est un ensemble de logements avec un minimum d’équipements et de services pour répondre au mieux aux besoins des habitants.
A ce titre, elle considère que la ville nouvelle en Algérie n’est autre qu’une « urbanisation périphérique » visant à mobiliser un foncier urbanisable pour répondre au mieux à la demande « quantitative » du logement.
Cette architecte urbaniste relève, à ce propos, qu’une telle démarche « ne peut pas donner lieu à un espace convenablement réfléchi pour être approprié par ses habitants », et partant, cet espace ne peut pas répondre de manière adéquate aux besoins du groupe social qui y évolue en l’absence d’équipements et d’aménagements d’accompagnement.
Dans cet immense conglomérat de logements où l’habitat a pris le dessus sur les « fonctions urbaines d’excellence », confie Mme Benabbes, les équipements culturels (salles de cinémas, théâtre), sportifs (stades, salles omnisports, piscines), ainsi que les espaces verts, les aires de jeux pour enfants et les parcs périurbains font cruellement défaut.
— Absence d’espaces de sociabilité —
Pour Mme Benabbes, l’absence d’espaces de sociabilité où des citoyens cohabitent, échangent et partagent des intérêts et des pratiques communes, ne favorise pas le développement de rapports relationnels entre des habitants d’une même entité d’habitat quel que soit son échelle.
Selon cette architecte urbaniste, un travail effectué au niveau d’Ali Mendjeli, visant à « mettre à nu le rapport entre la typo morphologie spatiale et les formes de violence qui en résultent », a démontré qu’un espace public délaissé, ouvert, sans identifiant, sans fermeture partielle ou totale et mal éclairé, peut devenir la source de tous les maux sociaux, y compris la violence.
Traumatisée par l’agression de son fils, un étudiant en sciences économiques, balafré et roué de coups par une bande de jeunes, il y a de cela deux ans, non loin de l’université Constantine 2, Adra a choisi de quitter Ali Mendjeli pour s’installer dans la commune d’Ain Smara.
« Je craignais pour sa vie, mais aussi pour celle de mes autres enfants qui fréquentent encore l’école », confie, à l’APS, cette mère de famille encore bouleversée par ce qu’elle qualifie de « douloureux épisode » qu’elle souhaite oublier au plus vite.
De son côté, Abdelmadjid Merdaci, docteur d’Etat en sociologie et professeur à l’Université Mentouri de Constantine, soutient que l’évolution de la société algérienne renvoie à deux référents décisifs, à savoir l’accélération du processus d’urbanisation, estimé aujourd’hui à plus de 90% de la population, précise-t-il, et au rajeunissement constant de cette population.
Merdaci a indiqué, en ce sens, que « la prégnance des violences appelle une réflexion qui n’a pas été conduite notamment sur les violences coloniales multiformes qui continuent de marquer la société algérienne », ajoutant que celle-ci est de plus en plus « ressentie, vécue, comme injuste et inégalitaire en particulier par les acteurs en phase de formation et forcément de fragilité ».
Il a également évoqué les violences faites aux femmes, dans l’espace domestique ou public, affirmant que cet ensemble de signes renvoie à une société incapable de générer de l’espérance, « bunkérisée », dit-il, par le poids des mensonges.
Selon cette même source, l’urbanisation massive, sans autres repères que le bâti en béton, « dessèche le lien social », considérant qu’à cela il convient de relever « la disqualification et la délégitimation des instances de médiation ».
source:aps